interview d'Emmanuel Fraysse (RI 2000)

Publié le par promo2000sciencespo

livre-Emmanuel-Fraysse.jpgEmmanuel Fraysse (RI 2000) nous a reçu pour discuter de sa passion et de son métier. Fidèle à Sc po, curieux et pédagogue, ce spécialiste et professionnel du web social (http://lewebsocial.com/) est également auteur… sur papier. Quelque soit votre métier, nous vous invitons vivement à la lecture de son dernier livre Facebook, Twitter et le web social. Les nouvelles opportunités de business

 

 


 

 

 

 

 

Bio express

 

Directeur web du pôle Industrie au sein du groupe InfoPro Communications, (1er groupe média B2B en France, éditeur notamment de L’Usine Nouvelle, LSA et L’argus de l’Assurance)

Maître de conférences à Sc po : Medias et Web social

http://supportscoursenligne.sciences-po.fr/2011_2012/modele/charte.php?aMatiere=KCOM&aNoEnseig=2595&aCampus=P 

Responsable Marketing chez Microsoft / MSN France

Responsable marketing de Start up

2000 : Sciences po – Section internationale (action internationale des entreprises)

Maîtrise de gestion – Sorbonne

 

Pourquoi avoir fait Sc Po ?

J’ai voulu faire Sc po pour 3 motifs : culture générale, structuration d’esprit et une ouverture internationale. A Sc po, beaucoup de choses m’ont marqué et notamment les profs comme les élèves. Je me souviens notamment de leur qualité et de leur énergie.

Cette formation m’a réellement apporté un plus ; j’ai clairement eu, un « avant » et un « après » Sc po ; comme plus récemment un avant et un après Microsoft. Il y a certaines « organisations » qui favorisent le « penser / agir par soi-même ». Autant en profiter !

 

Comment est née cette passion ?

Par hasard : Je suis tombé dans le web en 1995 sans savoir que cette passion allait devenir mon métier et faire de moi un « digital native » professionnel.

Etre fan d’Internet ne signifie pas être un gamer. J’avais, certes, un goût pour l’informatique, avec mon ZX81 Sinclair (souvenir, souvenir…) mais ce qui m’intéressait déjà, c’était le lien et notamment les passerelles entre réel et virtuel, les ponts entre les individus (la communication par mail !). D’ailleurs, les premiers sites web francophones ont été créés par des grandes écoles comme Polytechnique. Comme quoi, le web, dès sa naissance, était synonyme de partage et de transmission.

A Sciences Po, j’ai eu la possibilité de créer des sites web notamment celui du cours de « Stratégie internationale des entreprises » et de donner des cours de « Recherche documentaire internationale. Ensuite, professionnellement parlant, de « Surfeur fou », je suis passé au Marketing online, au Marketing global, puis consultant indépendant et désormais Business Unit Manager web.

 

Votre livre est pédagogique, informatif et très agréable à lire y compris pour des profanes. Comment, vous-même, naviguez-vous dans le web ?

J’essaie d’être autant que possible en mouvement, ce qui est essentiel dans cette économie numérique. Je suis fasciné par les liens et les rencontres. C’est d’ailleurs grandement comme cela que j’ai pu évoluer professionnellement : les rencontres et le réseau sont la force motrice des « infoworkers ».

L’information, en général, me passionne. A Sc po, je me souviens d’un sujet « trop d’info tue l’info ». C’est toujours d’actualité pour le web en tant que canal d’info ! Ce sujet nourrit de nombreuses réflexions si l’on s’en donne la peine : pour profiter pleinement du web, il est important de garder un sens critique, de refuser d’être absorbé par les courants uniformisants du monde et de conserver un côté « Rock et sale gosse » (mais sans en abuser). La formation Sc po peut permettre d’apprendre à aller au-delà des idées reçues et de mettre en perspective dès lors que l’on a compris les fondamentaux du système. Autant d’atouts pour naviguer correctement au sein du web social et dans la vie en général.

 

L’e-technologie est-elle potentiellement accessible à tous et ne se résume pas à une question de génération ?

 

Plus qu’une question de génération, c’est surtout une question d’usage, de situation, et de structuration d’esprit.

Dans les années 90, le web a introduit la pensée hypertexte. Progressivement, cette « hypertextualité » s’est propagée au-delà de la génération Y. Dans leurs cours, aujourd’hui, les étudiants réfléchissent constamment en mode hypertexte. La rédaction elle-même est modifiée ; c’est enrichissant et participe à un mouvement d’agora.

Quant aux supports digitaux, ils sont démocratisés, ce qui facilite leur usage : l’ordinateur, un luxe dans les années 90, est devenu une commodité. Il en sera de même d’ici quelques années pour les supports mobiles comme la tablette numérique. Déjà actuellement, en situation de mobilité, la tablette trouve sa place quelque soit l’âge de l’utilisateur : lecture de livres et de documents, connexion wifi, lecture des mails, ... Par exemple, cela se constate empiriquement auprès des personnes de plus de 50 ans : elles prennent vite en main l’iPad notamment pour lire leurs mails alors que ces mêmes personnes ont pu vivre précédemment l’usage de la souris avec clavier comme une contrainte.

Pour tempérer cette vision technophile, j’avoue encore privilégier le format papier notamment pour la lecture. A mon sens, Internet vient compléter les autres médias sans les remplacer même si certains usages ont été digitalisés au détriment des médias « traditionnels ».

 

 

La génération Y (née après 1979) a pourtant des spécificités ?

Oui, clairement. Entre autres choses, leur approche des frontières entre vie privée et vie publique est floue. Ils ont été élevés avec la téléréalité qui expose des bribes de vie privée sur la place publique. Ce changement a été bien capté par Mark Zuckerberg qui instaure comme principe fondamental de Facebook que la vie privée est publique par défaut. C’est une vraie évolution.

Autre spécificité : l’individualisation personnelle et professionnelle qui passe notamment par le fait d’avoir des « petits business » largement favorisés par le canal digital. Les liens entre les employeurs et la génération Y sont plus distendus qu’avec les générations précédentes. Conséquence : la génération Y n’hésite pas à créer des « petits business Internet » ou tout au moins à travailler leur eReputation au cas où leur situation professionnelle évoluerait défavorablement.

Bien d’autres spécificités existent mais je laisser leur étude à des experts du sujet.

 

C’est le cas pour Facebook et les ados ?

 

Les ados sont particulièrement enclins à socialiser via le web. Facebook peut être très « cool », comme il peut être le levier de brimades. Sachant que l’âge adolescent est celui de la création d’identité, Facebook n’est pas sans dangers. C’est un outil puissant, une plateforme de communication dont il faut connaitre les fondamentaux. Facebook ou couteau, même combat : un couteau est utile pour savourer d’excellents plats avec des amis mais il peut aussi s’avérer dangereux dans de mauvaises mains ! Facebook est devenu dominant, puissant et par la même occasion Facebook devient un bouc émissaire. En fait, c’est à chacun de rester intelligent et responsable pour les enfants, c’est aux parents de veiller sur eux et de les éduquer. Les réseaux sociaux numériques sont des outils ; il ne faut jamais l’oublier. On peut y trouver de grandes libertés, mais il faut se rappeler que la liberté impose aussi des contraintes. Les réseaux sociaux numériques et le web en général infantilisent sur certains aspects. Or, le besoin de réflexion demeure nécessaire. Dès lors que cette prise de conscience est faite, Facebook est un outil magnifique qui permet de découvrir de nouveaux horizons, de nouvelles opportunités. Certains rencontres « au hasard » ouvrent de nouvelles portes jusqu’alors inconnues.

 

Il ne s’agit donc pas d’une révolution, mais d’une accélération des cycles

Effectivement. A mon sens, tout est continuité, il n’y a pas de révolution mais une évolution forte. 2 mouvements (liste non exhaustive !) se sont accélérés depuis quelques années : l’ultra-connectivité d’une partie de la population et la vitesse de diffusion de l’information. Dans ce contexte, chaque media voit sa place redéfinie progressivement et Internet digitalise tous les secteurs. Donc oui, les choses évoluent. Et non, ce n’est pas nouveau. Héraclite disait déjà en son temps : « rien n’est permanent sauf le changement ».

 

Parmi les tendances de fond, citons le fait que nous devenons tous des medias et potentiellement tous des entreprises : nous devenons des « makers » dans le cadre du mouvement du « do it yourself » (prenez l’exemple de tout ce que vous pouvez déjà faire de façon autonome avec une imprimante 3 D !). Des individus créent leur activité.

 

 

Pour l’information, qu’est ce que cela signifie ?

Nous sommes en situation d’infobésité. Le défi désormais n’est plus d’être informé mais d’avoir la bonne information et de bien traiter l’information qui est partout, tout le temps.

Côté média, cela implique d’instaurer un système à trois voix : journalistes, experts et internautes. Côté consommateur d’information, cela implique de mettre en place les bons filtres humains et techniques. La curation s’inscrit dans cette mouvance. L’opportunité est d’avoir une sélection pertinente d’information. Le point de vigilance renvoie au fait de réduire son ouverture sur le monde. Prenons l’exemple des journaux. Quand vous avez un journal en main, vous allez forcément voir des actualités que vous ne cherchiez pas mais qui attirent votre attention. Or, dans le monde digital, si vous paramétrez trop vos goûts et êtes trop stricts sur vos filtres, vous n’allez plus découvrir de nouveaux horizons et vous cantonner à vos zones de confort, vos domaines d’intérêt déclarés. Il y a nécessité de sérendipité qui correspond au fait de trouver des réponses par hasard en butinant l’information et non en la chassant.

 

L’information échappe à ses producteurs ? Qui peut prétendre maîtriser production, émission et diffusion désormais ?

Cela se complexifie pour les émetteurs d’information sachant que la co-création prend de l’ampleur et que les canaux de diffusion sont particulièrement fragmentés. Pour les entreprises, la prise de pouvoir du consommateur a été une (r)évolution qu’elles ont mis du temps à appréhender et maintenant à intégrer réellement. L’entreprise ne dicte plus, elle doit régulièrement intégrer le « consomm-acteur » en amont de phase. La vision « top-down » passe moins bien qu’avant, voire plus du tout. Certaines entreprises ont fait de graves erreurs parce qu’elles ne sont pas allées au bout de la logique latente du web social. Par exemple, elles sont présentes sur Facebook mais veulent y gérer leur image comme s’il s’agissait de leur propre site. Or, elles sont sur Facebook, pas sur leur propre site. D’une façon générale, les médias sociaux disposent de leurs propres règles explicites et implicites et les marques doivent s’y soumettre. En cas d’écart, les entreprises qui s’y prennent à la légère peuvent s’exposer à un bad buzz comme Nestlé ou ComCast.

Le droit à l’oubli n’existe pas (ou pas encore) sur le web. Ce qui a été dit il y a 10 ans restent dans les moteurs de recherche.

 

 

Le lien social est-il également en continuité ?

 

Internet n’est qu’un levier supplémentaire pour créer du lien. Certes, Internet peut isoler. La vraie question est : quelle est l’intention de l’individu en tant qu’internaute ? Cherche-t-il à fuir la réalité ou à créer de nouvelles connexions ? Dans le second cas, paradoxalement, plus il est dans le web, plus il sera dans le réel car, à force d’être digital, il aura besoin d’humanité et de connexions émotionnelles. Autre avantage : le web social favorise le maintien des liens faibles entre les individus, des liens « peu engageants » et moins impliquants que les liens forts qui nous relient à certains amis proches. La jeune génération a compris cela et a intégré cette logique de liens faibles. D’ailleurs, pour trouver un job c’est le lien faible le plus efficace !

 

Quel est le cycle en devenir ?

Au-delà du terme web 3.0 déjà « tarte à la crème » évoquons ce que ce concept pourrait recouvrir. Nous avons connu le web 1.0 (les individus se sont connectés aux données) puis le web 2.0 (les individus échangent entre eux, montée du web social). Facebook a été déterminant dans la démocratisation du web social et emmène les individus vers une nouvelle phase : le web sémantique (web 3.0). Lors de l’avènement de ce web 3.0, le web sera intelligent, les informations seront classées, hiérarchisées et interprétables grâce à des métadonnées comprises par les ordinateurs. Par exemple, en cliquant sur le lien d’une invitation à une conférence, l’invitation se rangera dans l’agenda de l’internaute, la localisation du lieu de conférence sera intégrée dans le GPS, les biographies des intervenants seront envoyées et classées par affinité sur son smartphone, la carte bancaire sera débitée, ...  A noter aussi : ce « nouveau web » intégrera fortement la dimension mobile et bien d’autres choses qui existent déjà mais qui n’ont pas encore émergé car comme l’a dit Robert Metcalfe, “le futur est déjà là. Simplement, il n'est pas réparti de manière uniforme.”

 

 

Message à la promo 2000 ?

Au plaisir de vous revoir mais avant 10 ans ! Le 5 novembre dernier, j’ai été content de renouer avec d’anciens camarades et de discuter de leurs parcours. D’ailleurs, ça m’a permis de nous échanger nos mails pour maintenir les liens.

Publié dans portraits

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